Politique

Domenach, julliard, les corniauds du journalisme…

Bruno Julliard — Wikipédia
D’autres corniauds, mais du syndicalisme!

Nous n’allons pas revenir sur l’affaire Strauss-Kahn, du moins sur le fond de l’affaire qui est dans les mains de la justice américaine. En revanche, il m’apparaît intéressant de revenir sur certaines choses qui nous ont été révélées depuis. J’entends les mœurs journalistiques françaises qui n’ont malheureusement pas beaucoup changé depuis Balzac.

Depuis quinze jours on nous bassine à la télévision avec la même question : les journalistes doivent-ils fouiller la vie privée des hommes politiques ? La question est bien évidemment non. Dieu merci, nous ne sommes pas encore dans un pays anglo-saxon. En revanche, l’affaire DSK m’interroge une fois encore sur ce qu’il faut bien appeler le journalisme de connivence pratiqué par la presse en France, journalisme de caste, de pince-fesses, de bisous qui nuit profondément à la profession. Les grands noms, éternels donneurs de leçon que l’on voit se répandre sur les ondes, n’échappent pas à la règle. Bien au contraire. Je dirais même qu’ils la fixent au détriment de l’information du citoyen. Si la politique est malade en France, la presse l’est tout autant.
Ainsi il a fallu que Strauss-Kahn soit hors course à la présidentielle pour que l’on apprenne (nous autres lecteurs), que le patron du FMI avait fait le tour des rédactions parisiennes de gauche (la précision a son importance) fin avril. Là, sous le sceau du secret, il avait dévoilé qu’il serait bel et bien candidat. Libération l’avait déjà signalé au lendemain de l’écroulement de l’idole. Marianne de la semaine dernière, sous la plume de Denis Jeambar, nous narre la rencontre du 29 avril.
Le cru et le cuit
Il faut imaginer la scène. L’heure tout d’abord : 13h, heure du crime pour ceux qui aiment déjeuner, car c’est le ventre plein qu’on assassine le mieux l’information. Le décor ensuite : un salon privé dans un restaurant trois-étoiles du XVIIe arrondissement de Paris. Les protagonistes enfin : les journalistes Maurice Szafran, Nicolas Domenach, Jacques Julliard, Anne Hommel chargée des relations avec la presse pour le compte de l’agence de communications Euro RSCG. Et puis DSK, le personnage principal ainsi décrit : « Il paraît aminci. Affûté. Comme un signe de maîtrise de lui-même, il ne commandera d’ailleurs pas de dessert et ne goûtera qu’à peine le grand cru de Bordeaux ».
Qu’apprend-on en dehors du fait que DSK se méfie du cru ? Qu’il a bel et bien l’intention de se présenter mais qu’il exige que les journalistes ne parlent pas de cette entrevue. Ce qu’on appelle le « off » en jargon journalistique.
Question que je pose : à quoi peut bien servir une telle entrevue si on ne peut pas la mentionner ? La réponse est simple : à rien pour les journalistes sinon à flatter leur ego, à leur donner l’impression d’être dans le secret des puissants de ce monde. En revanche, pour Strauss-Kahn, cette entrevue a une fonction précise : instrumentaliser les journalistes, les mettre à sa botte psychologique.
Je cite Denis Jeambar : « Avec une surprenante agressivité et un ton soudain plus impératif, il retourne à Maurice Szafran les interrogations sur le chef de l’Etat et lui demande crûment si Marianne souhaite bien que la France soit débarrassée de « ce type-là » (Nicolas Sarkozy) en 2012. Avec un sourire amusé, le président de Marianne ne répond pas mais DSK ne s’en tient pas à sa question. Il insiste et dit que Marianne n’a pas d’autre choix que de le soutenir dans ce combat ». Commentaire de Denis Jeambar : « Si la requête est choquante, elle a le mérite d’être claire et de montrer la conception qu’a Dominique Strauss-Kahn de la presse : c’est un rapport de soumission qu’il sollicite, un engagement militant ».
Pas trop choqués !
La requête est « choquante » dit Jeambar. Le mot est fort. Les journalistes, on le présume, vont donc être choqués. Alors que vont-ils faire ? Car tout est possible à cet endroit de la pièce, si ce n’est pas Euro RSCG qui écrit le scénario. Vont-ils se lever de table, outrés qu’on puisse leur demander ça ? Refuser le dessert et mettre une beigne à DSK pour avoir pensé qu’ils étaient à vendre ? Lui verser le grand cru sur la tronche ? Eh bien non, rien. Pas même l’ombre d’une révolte. On ne parle pas la bouche pleine. Le grand Jacques Julliard que l’on voit disserter depuis des années sur la morale et la politique ferme sa gueule. Les donneurs de leçon de Marianne s’écrasent, j’ai presque envie d’ajouter comme des merdes.
La suite de l’entrevue est intéressante car elle dresse le portrait psychologique de DSK. « Ses mots manifestent une tranquille assurance et trahissent par moments une certaine arrogance. Il souligne le sacrifice que représente son renoncement à la direction du FMI. » Sur ses concurrents, et plus précisément sur Hollande, il menace : s’il se maintient dans la course élyséenne au-delà du 13 juillet, date des clôtures des candidatures à la primaire, « sa vie politique s’arrêtera et il n’aura rien ». A ce moment-là, tandis que les journalistes finissent leur dessert et le grand cru, DSK est dans la toute puissance, prêt à s’élever dans les airs. On connaît maintenant la suite.
Mais pour revenir à nos journalistes censés représenter la presse ce jour-là, quelle honte ! Et quel désarroi pour le lecteur-citoyen qui découvre en lisant Marianne tout ce qu’on lui a caché. Si Dominique Strauss-Kahn n’était pas dans les mains de la Justice, « délivrant » les journalistes de leur promesse de ne rien dévoiler (en principe briser un accord demande le consentement des deux parties), il n’aurait rien su de cette charmante saynète que l’on devrait étudier dans toutes les écoles de journalisme de France. Qui sait, un metteur en scène mettra-t-il un jour en théâtre la rencontre. Pour les rôles de Maurice Szafran, Nicolas Domenach et Jacques Julliard, plutôt que des acteurs, je suggère des marionnettes.
Bruno Testa
btesta@journal-lunion.fr