Politique

Les Pasqua à l’image de la république française

Un article dans Libération qui pourrait être un best-seller de la série noire mais qui n’est en fait qu’un épisode anodin de la vie politique française.
Aujourd’hui c’est une affaire Pasqua-Family, comme dans son temps le Mitterrand-circus, sans oublier De Villepin, Chirac, Huchon et Cie…

On attend avec impatience les affaires qui sortiront durant la présidence Sarkozy, réussissant le tour de force de réunir tous les magouilleurs sous un même chapeau au nom de l’ouverture…

Les Pasqua boys reviennent au bercail. A l’approche de plusieurs procès correctionnels visant la galaxie pasquaïenne, deux d’entre eux, faisant l’objet d’un mandat d’arrêt international, viennent de négocier leur retour en douceur dans l’Hexagone. Pierre-Philippe Pasqua («3 P»), 59 ans, fils de son père, planqué en Tunisie depuis sept ans, négociait sa reddition depuis cinq mois. Il est rentré vendredi en France sans passer par la case prison.

Iskandar Safa, proche de Jean-Charles Marchiani (homme de main de Charles Pasqua), réfugié au Liban, faute d’une convention d’extradition franco-libanaise, l’a imité trois jours plus tard.
Seul manque à l’appel Pierre Falcone, héros malgré lui de l’Angolagate : à l’abri d’un passeport diplomatique délivré par le président angolais, il refuse mordicus, selon nos informations, de revenir en France. Peut-être attend-t-il que Nicolas Sarkozy (lire ci-dessous) arrange ses affaires ?
Pasqua junior réfute le terme «fuyard» et on ne saurait lui donner tort, tant la justice française n’a guère fourni d’efforts en vue de l’arrêter ou de l’interroger en Tunisie. Poursuivi une première fois dans l’affaire Elf, le juge d’instruction Renaud Van Ruymbeke ne l’avait pas renvoyé en correctionnelle au simple motif que 3 P «a excipé de la convention franco-tunisienne pour ne pas répondre aux convocations». Le fils Pasqua n’étant mis en cause que dans une queue de comète du dossier Elf (2 millions de francs versés sur un compte en Suisse), admettons.
Bien plus gênante, son implication dans l’affaire Alstom. En 1994, cette entreprise souhaite déménager son siège social des Hauts-de-Seine vers la Seine-Saint-Denis. Charles Pasqua, alors ministre de l’Intérieur et de l’Aménagement du territoire, ne saurait s’opposer au transfert du riche 92 vers le pauvre 93. Mais son feu vert tarde, et on fait savoir à la direction d’Alstom qu’il serait opportun de verser une commission à un compagnon de route de Charles Pasqua, feu Etienne Léandri (condamné à la Libération pour «intelligence avec l’ennemi», il avait été réhabilité après-guerre, avec l’aide de la CIA, au nom de la lutte anticommuniste). Non sans avoir hurlé au «racket», à une «demande de rançon formulée avec l’aval du ministère de l’Intérieur», puis négocié la division par deux du pot-de-vin (5 millions de francs), Alstom s’exécute. Un mois plus tard, Léandri reverse 4 millions sur un compte suisse, au nom de Pasqua fils.
Janvier 2006, l’affaire Alstom est enfin renvoyée devant un tribunal correctionnel. En son absence, 3P est jugé par défaut. Le parquet requiert deux ans de prison ferme contre lui, au motif que «le plus haut niveau de l’Etat a failli à son devoir de probité.» Pasqua junior est pourtant relaxé, car rien ne prouve que ses 4 millions perçus de Léandri provenaient des 5 millions versés par Alstom à Léandri…
Surprise. Le parquet fait appel, comme Pierre-Henri Paillet, ex-membre du cabinet de Charles Pasqua, peu soucieux de porter seul le chapeau. Ce procès a eu lieu en mai. Paillet s’est vu confirmer sa peine de six mois ferme et, oh surprise, le cas Pasqua a été disjoint. Il aurait pu être jugé par défaut, comme à la première instance, mais, souligne le parquet général, il est possible de disjoindre les causes en appel, «dans l’espoir qu’un mandat d’arrêt soit exécuté».
CQFD : depuis mai, Pasqua négocie son retour au bercail. On comprend mieux l’impeccable scénario : vendredi, 3 P est cueilli par les policiers à sa descente d’avion au Bourget, conduit illico devant un juge de la détention et des libertés qui, en moins d’une heure, le laisse libre, moyennant une caution de 200 000 euros et l’obligation de signaler tous ses déplacements.
Pasqua fils comparaîtra donc libre demain, en appel de l’affaire Asltom, et surtout à partir de lundi dans l’affaire Sofremi. Huit proches de Charles Pasqua sont poursuivis pour abus de biens sociaux au détriment de cette société dépendant du ministère de l’Intérieur, dédiée à l’exportation de matériel policier. Ou l’on retrouve Léandri, bénéficiaire de 21 millions de francs de commissions occultes. Selon Bernard Dubois, ancien président de la Sofremi, «Etienne Léandri était commissionné à la demande du ministère de l’Intérieur. J’ai compris que, par des retours de commissions, il allait financer ce que Charles Pasqua ou son entourage allait lui demander de financer.» La moitié épongera les pertes du Quotidien du maire, journal édité par Jean-Jacques Guillet, élu des Hauts-de-Seine, bénéficiaire d’un non-lieu.
Signature. Pour sa part, Pierre-Philippe Pasqua aurait hérité d’une rétrocommission de 10 millions de francs, via Pierre Falcone, intérmédiaire d’un contrat colombien. Il nie être l’ayant-droit de la coquille suisse où ont atterri les fonds, bien que sa signature figure sur l’ouverture du compte. Le banquier suisse affirme que son «authenticité n’est pas contestable». En renfort du fiston absent, Pasqua senior a affirmé «ne pas reconnaître sa signature». Il peut voir venir : six fois mis en examen, son cas a été renvoyé devant la Cour de justice de la République, encore moins diligente que la justice pénale.
Libération.